La poétique de l’éther // solo show
LA POETIQUE DE L’ETHER
Pour sa présentation solo au salon DDESSIN {16} Haythem Zakaria a réalisé la série intitulée La Poétique de l’éther, de huit dessins dont sept au format de 56x76cm et un de 64x101cm. Le titre polysémique est le fruit de recherches déjà menées par l’artiste dans de précédents travaux, auxquelles se sont ajoutées de nouvelles considérations de l’espace. En effet, l’éther renvoie d’abord à l’espace, mais c’est sans doute sa dimension invisible que l’artiste a tenté de rendre, à partir des huit citations du Coran et au moyen de signes et de codes.
Chaque dessin est construit autour d’un verset coranique appliqué au transfert sur le papier, au centre de l’œuvre et prolongé plastiquement de deux manières de chaque côté du texte. A gauche, la répétition rigoureuse d’un système d’encodage par vingt-huit lignes verticales et ascendantes correspondant aux vingt-huit lettres de l’alphabet arabe. Une ligne oblique relie la lettre d’un mot extrait du verset, à sa verticale correspondante dans la colonne de droite. Ainsi, cette colonne restitue de manière codifiée un mot ou tout le texte en redonnant les lettres de chaque mot sans révéler leur ordre qui permettrait de reconstituer la phrase. Si l’on peut y voir la dissimulation et le secret du texte par ce code, pour le protéger du monde profane par exemple, une autre lecture est proposée ici : par une forme de balance, l’ensemble des lettres réunies dans une apparence de désordre ouvre à cette lecture. Ce système rigoureux et permanent est reproduit dans les sept premiers dessins.
En face, à gauche du verset cité, est proposée une autre interprétation spatiale du texte fondée sur la pratique du Dhikr qui, en Islam, consiste à rappeler le souvenir de Dieu. On parle de prière d’une pensée unique, monothéiste, qui consiste en un rappel du nom de Dieu, sur un rythme et une prosodie définis. La démarche de l’artiste s’est inscrite dans un protocole très précis pour réaliser sur un rythme et dans la durée du Dhikr des surfaces aléatoires de points dans des limites tracées par avance.
Cette codification d’un verset coranique, en deux espaces équilibrés, l’un stable et vertical, l’autre dans une sorte d’apesanteur, donne au texte la fonction de passage d’un monde à l’autre, lisible, ici et ailleurs. De ce point de vue, l’injonction de la première citation, Iqra (Lis !) renvoie au projet de l’artiste qui pourrait reprendre à son compte cette injonction adressée à celui qui regarde.
La pratique artistique de Haythem Zakaria est caractérisée par une grande diversité des supports et des démarches : l’installation vidéo, la sculpture, la recherche scientifique… De précédents dessins ont présenté la traduction d’extraits coraniques en système visuel codé. Très fidèle à ses pratiques, le dessin portait la marque de la maîtrise et de la rigueur. Des lignes se sont imposées comme un nouvel alphabet géométrique et ésotérique. Aucune autre couleur que le noir n’était employée, peu de formes aléatoires, et le dessin offrait une composition plus proche du damier que de la voûte céleste.
Si La Poétique de l’éther conserve cette logique rationnelle et linéaire de l’équilibre entre le blanc et le noir, elle ouvre sur un espace éthéré et circulaire, « Image de cycles, de cercles et de « coupoles »» pour citer Henri Corbin sur la mystique chiite qui a été une des sources de l’artiste. Ainsi, les deltas qui se chevauchent jusqu’au mouvement circulaire, le tapis d’invocations appliquées au tampon Howa, la présence des astres, le plan du temple de Salomon… sont autant de références universelles suscitées par un texte singulier à portée métaphysique dont l’appel ultime est celui de l’union avec Dieu.
L’œuvre en elle-même offre une variété de lectures, que l’on connaisse l’arabe ou pas, le sens caché ne se donnant pas sur les seuls mots mais par la composition, les formes, les couleurs… Dans le parcours de l’artiste, La Poétique de l’éther est une étape, une station, qui élargit son expérience intérieure ; une pratique d’abord plastique à laquelle chacun a accès qui ouvre un espace inconnu. « C’est que la partie visible d’un être présuppose qu’elle soit équilibrée par sa contrepartie invisible, céleste. » (Corbin)
Marc Monsallier